Les réseaux sociaux en période électorale : ce que dit la loi
Les réseaux sociaux sont devenus des incontournables de notre vie quotidienne et, d’élection en élection, prennent un poids de plus en plus important dans la gestion de la communication des campagnes électorales. Si le code électoral intègre ce medium dans ses articles de loi, la jurisprudence définit au cas par cas le poids de leur méconnaissance et son impact sur l’annulation d’un scrutin. L’idée est ici de privilégier les bonnes pratiques pour ne pas prendre de risques en période électorale.
Le support numérique permet aux juges de vérifier très précisément si les manquements aux règles du code électoral ont pesé sur le résultat du scrutin et en quelles proportions. Je rappelle que tout litige porte le risque d’annulation à son maximum dès lors que le pourcentage de voix d’écart est de 5% ou moins.
Les juges s’appuient également sur les fonctionnalités des réseaux sociaux. En effet un profil et une page Facebook n’ont pas la même fonction ni le même cadre de diffusion : un profil (page personnelle) est réservé à un individu et chaque publication peut être paramétrée en mode public ou privé. Une page (page pro / personnalité publique) est 100 % publique et peut faire de la publicité.
Pour les sortant.es, pas de promotion dans les supports de la ville
Comme nous l’avons vu dans l’article La communication en période électorale, l’idée est de ne pas utiliser les supports de communication de la collectivité (et de tout autre collectivité intéressée par le scrutin) pour promouvoir son action ou celle de la municipalité, dès le 6e mois avant le scrutin (Art.52-1 al.2).
Sur les réseaux sociaux, il faudra donc veiller à distinguer :
- La communication de la ville (ou collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale) dont la page FB doit être gérée par le service de communication et rester purement informative.
- La communication du-de la maire (ou autre mandat) dont le compte est libellé comme tel, qui doit également suivre les mêmes règles en n’utilisant pas ces pages ou profils comme des outils de propagande ou promotion électorale et être administrée par le service com’ ou le cabinet.
Je rappelle que les principes de séparation de la communication publique / communication politique sont valables sur l’ensemble de la durée du mandat. Mais en période électorale, le vocable « promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d’une collectivité », affiné par la jurisprudence proscrit bon nombre de pratiques courantes (voir la section Comment rédiger ? La communication en période électorale : Les points de vigilance).
A noter également que ces précautions sont à prendre même si l’élu.e sortant.e ne s’est pas encore déclarée candidat.e.
- La communication du-de la candidat.e
Le profil personnel permet une certaine liberté de propos. Néanmoins, je conseillerais aux élu.es de garder ce profil pour un usage privé.
Pour la communication du-de la candidat.e, il est préférable de créer soit un nouveau profil Facebook « candidat.e » et un nouveau compte Twitter dans lesquels il sera précisé que c’est le-la candidat.e qui s’exprime et non le-la maire. Ou bien une page « liste », chacun des colistiers pourra ainsi s’y exprimer tout en gardant sa page perso privée.
Pour tou.tes les candidat.es, la période de réserve
Le second point important, qui dans le cadre des réseaux sociaux peut être plus difficile à gérer, est l’arrêt total de tout message tardif ayant un caractère polémique puis de propagande électorale tout court, au cours du we du scrutin.
Afin d’éviter tout litige et quel que soit le canal :
- Ne pas diffuser un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n’aient pas la possibilité d’y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale (Article L48-2 du code électoral)
Point de vigilance : Comme précisé sur l’article La communication en période électorale : les points de vigilance un retweet ou un partage d’une information polémique même ancienne et déjà publique peut tomber sous le coup de cette loi.
- Ne diffuser aucun message sur les réseaux sociaux la veille du scrutin à partir de zéro heure. (Article L. 49 du code électoral)
Exemple issu de la jurisprudence :
« Par un message posté le dimanche 18 juin 2017 à 11 heures 42, l’adjoint au maire a fait état de son vote en faveur du candidat tête de liste et invité les électeurs à « choisir l’expérience face à l’aventure ».
Eu égard à la faiblesse de l’écart de voix entre les deux listes à l’issue du second tour de scrutin, la diffusion de ces messages le jour du second tour de scrutin sur des pages « Facebook » qui ne revêtaient pas un caractère privé au sens des règles de confidentialité de ce réseau social a été de nature à altérer la sincérité du scrutin. Dès lors, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs de la requête, il y a lieu d’annuler l’élection attaquée. »
Ces restrictions s’appliquent à tout un chacun, pas uniquement aux candidat.es, journalistes et militant.es. Bien évidemment, seules les publications publiques sont concernées. La jurisprudence examinera le degré d’ouverture du profil ou de la page, le nombre d’abonnés, les restrictions d’accès, l’existence d’une communauté d’intérêts… afin de déterminer si une publication ne respectant pas la loi a pu altérer la sincérité du scrutin et ce, au regard du nombre de voix d’écart entre les candidats.
Comment gérer la modération de vos réseaux sociaux ?
Les réseaux sociaux étant par essence des media ouverts aux commentaires, il vous revient d’être vigilants sur ceux que vous administrez.
Sur Facebook
- La page officielle Ville
Dans le cadre de sa mission de service public, il serait malvenu de la désactiver.
Sensibilisez votre audience en épinglant une charte de modération spécifique à la période. Ce qui vous permettra d’appuyer la suppression des commentaires litigieux, auprès de l’auteur et de l’audience, chaque fois que nécessaire. N’hésitez pas à faire une copie d’écran avant et après pour conserver des traces de votre bonne foi.
Vous pouvez aussi paramétrer une modération automatique en entrant des mots clés : élections, candidat, le nom des candidats, vote…
- La Page candidat / personnalité politique / Liste
Certains choisissent la solution radicale de déconnecter leur compte.
Le plus souple est de choisir un des paramétrages suivants :
-
- Réviser les publications des tiers avant leur publication sur la Page (Attention, même si elles ne sont pas approuvées, elles peuvent tout de même être visibles sur les fils d’actualité).
-
- Désactiver les publications des autres personnes sur la page (Le plus simple à faire durant le week-end du scrutin).
Si vous avez opté pour un profil, vous ne pourrez que supprimer, a postériori, les publications litigieuses, ce qui n’est ni sûr (une copie d’écran est très rapide à faire), ni respectueux de votre sommeil.
Sur Twitter
La particularité de Tweeter, c’est que vous ne pouvez pas supprimer le tweet d’un usager ! qu’il soit abonné à votre compte ou non. Vous pouvez tout au plus bloquer un utilisateur.
Aux dernières nouvelles, Twitter teste une forme de modération permettant de masquer certaines réponses dans le menu des options du message. Toutefois, les tweets masqués restent visibles par les autres utilisateurs, s’ils choisissent d’afficher les tweets masqués à partir des options de tweet.
En attendant, à minima, épinglez un texte expliquant les contraintes légales et pour plus de sûreté, déconnectez votre compte le week-end du scrutin.
Les Selfisoloirs : dangereux ? pas dangereux ?
Avec leur essor, on est en droit de se poser la question de la légalité et surtout des risques liés de ce phénomène de mode.
Là aussi, tout dépend de l’instruction. Le juge de l’élection recherchera l’influence de ces selfies sur les électeurs de la commune. Les critères seront : la notoriété de la personne émettrice, le caractère public ou privé du post, le nombre de personnes atteintes, le contenu des commentaires, l’heure du post et l’éventuel impact sur l’affluence des bureaux de vote…, et toujours le pourcentage d’écart de voix, inférieur ou non à 5% des suffrages exprimés.
Le Tribunal administratif de Strasbourg (20 mai 2014, req. n° 1401578) a considéré qu’un selfie (des propres filles d’un candidat), capturé dans l’isoloir et faisant apparaître le bulletin de vote choisi, ne constituait pas, au regard de l’évaluation de tous ces critères, un acte de propagande susceptible d’exercer une influence sur les électeurs.
Mais, chaque cas étant unique, le mieux est tout de même de ne pas prendre de risque !